Deux mesures de l’efficacité : efficacy et effectiveness
Lorsqu’un vaccin est mis sur le marché, il a déjà fait la preuve de son innocuité et de son immunogénicité dans les conditions idéales des essais cliniques. Cependant son efficacité, mesurée dans les conditions rigoureuses d’un essai clinique randomisé (efficacy en anglais), surestime le plus souvent son pouvoir réel de protection dans les conditions réelles d’utilisation en routine (effectiveness en anglais). En effet, la mesure de l’efficacy ne prend pas en compte l’éventuelle diminution de la protection avec le temps et l’éventualité d’une moindre protection conférée à certains sujets moins bons répondeurs du fait de leur âge, de l’existence de co-morbidités, de facteurs génétiques ou environnementaux. À titre d’exemple, le vaccin contre la grippe, très efficace lors de son expérimentation chez de jeunes adultes, s’est révélé moins performant lorsqu’il a été utilisé chez des personnes âgées.
A contrario, la mesure de l’efficacy sous-estime l’impact réel qu’aura la mise en œuvre de la vaccination en routine qui, pour les maladies à transmission interhumaine, réduira la circulation de l’agent pathogène et entraînera ainsi une réduction du risque d’exposition et donc de maladie pour les sujets non vaccinés. Ce phénomène de protection collective est improprement appelé « immunité de groupe ». En effet, il ne s’agit pas d’une protection conférée par le système immunitaire des personnes non vaccinées mais d’un moindre risque de rencontrer l’agent pathogène du fait de vivre dans un environnement comportant une proportion élevée de personnes vaccinées qui ne peuvent pas leur transmettre la maladie.
Il est donc utile, une fois le vaccin intégré dans des programmes de vaccination à large échelle, de vérifier son pouvoir protecteur dans les conditions réelles de son utilisation. Cette évaluation repose sur des enquêtes épidémiologiques consistant à comparer l’incidence de la maladie chez des individus vaccinés et non vaccinés soumis au même risque infectieux et à estimer le degré de réduction de l’incidence de la maladie chez les sujets vaccinés.
Enquêtes de cohorte ou enquêtes cas-témoins
Des méthodes d’enquête de cohorte ou « cas-témoins » ont été élaborées et standardisées dans ce but. Jusqu’à récemment, elles étaient le plus souvent réalisées en période épidémique, pour limiter les biais pouvant résulter d’une différence d’exposition à l’agent pathogène entre les personnes vaccinées et non vaccinées. En effet, plus le virus ou la bactérie circule dans une population, plus le risque d’y être exposé tend à devenir identique pour l’ensemble de la population.
Plusieurs études de ce type ont été réalisées en France en milieu scolaire, associant l’Institut national de veille sanitaire (actuellement Santé publique France) et les agences régionales de santé (ARS). Elles prenaient en compte l’efficacité immédiate de la vaccination mais également la diminution avec le temps de la protection. Les résultats de ces études ont confirmé le pouvoir protecteur très élevé des vaccinations contre la rougeole (de 93 à 98%) et la rubéole (96%) mais ils ont également mis en évidence un pouvoir protecteur inférieur à celui attendu pour la vaccination contre les oreillons (73 à 75%).
De nouvelles méthodes d’enquête cas-témoin ont été développées et validées pour permettre d’estimer en routine – en dehors de phénomènes épidémiques – l’efficacité sur le terrain des vaccins, tout en assurant la meilleure comparabilité possible des cas et des témoins. Par exemple, pour estimer l’efficacité de la vaccination contre la grippe, les témoins sont choisis parmi les personnes présentant un syndrome grippal dont le prélèvement virologique est négatif pour les virus grippaux.
Cette méthode est mise en œuvre en France chaque année. Elle fournit des estimations nationales et contribue à des estimations plus précises au niveau européen, grâce à la combinaison des données de plusieurs pays obtenues selon une même méthodologie.
Bases de données médico-administratives
Le développement des bases de données médico-administratives, dans lesquelles sont enregistrés tous les recours aux soins ainsi qu’un grand nombre de caractéristiques sociodémographiques de la population, ont également permis de grands progrès dans les mesures d’efficacité vaccinale. En effet, la grande quantité d’informations présentes dans ces bases permet de sélectionner des individus comparables pour un grand nombre de facteurs qui seraient, s’ils n’étaient pas pris en compte, susceptibles de biaiser les résultats. Elles permettent également de corriger les biais liés au caractère non aléatoire du statut vaccinal dans les enquêtes d’observation, à la différence de ce qui est réalisé dans les essais randomisés où seul le hasard décide de qui est vacciné et qui ne l’est pas. De tels biais peuvent être importants et ont parfois conduit à des estimations irréalistes d’efficacité vaccinale.
On peut citer l’exemple de certaines estimations de l’efficacité de la vaccination contre la grippe pour réduire la mortalité durant l’hiver pouvant aller jusqu’à 50%. Un tel résultat n’est pas crédible dans la mesure où la grippe ne représente que 5 à 10% de la mortalité hivernale. Il résulte du fait que les patients les plus à risque de décéder de la grippe sont moins souvent vaccinés que les personnes du même âge en bonne santé. De ce fait, l’analyse attribue à tort à la vaccination et non à leur meilleur état de santé, une partie de la mortalité moindre observée chez les personnes vaccinées, conduisant à surestimer l’efficacité du vaccin.
Une approche originale proposée par une équipe américaine, utilisant une base de données portant sur plus de 300000 personnes âgées suivies pendant neuf ans, a permis de contourner cette difficulté. La méthode a consisté à retrancher de l’efficacité vaccinale calculée pendant les périodes d’épidémie grippale, l’efficacité vaccinale calculée pendant les périodes durant lesquelles le virus de la grippe ne circule pas. En effet, cette dernière estimation mesure en réalité le biais. Les auteurs ont conclu que la vaccination contre la grippe réduit en moyenne de 4,6% la mortalité toutes causes et de 47% en moyenne la mortalité liée spécifiquement à la grippe.
Cette réduction de 4,6% appliquée aux données françaises de décès a conduit à estimer à 35% la réduction de la mortalité liée à la grippe chez les sujets âgés durant la période 2000-2009.