Avis du HCSP sur la vaccination dans le contexte de choléra à Mayotte

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En complément des moyens de lutte existant contre le choléra et déjà en place à Mayotte (accès à l'eau potable, hygiène et assainissement), la vaccination est un moyen complémentaire indispensable dans la lutte contre cette épidémie. A ce titre, le Haut Conseil de la Santé publique (HCSP) a publié de nouvelles recommandations le 15 avril 2024. 

 À côté des stocks mondiaux réservés à la gestion des larges épidémies, deux types de vaccins sont disponibles pour Mayotte : Dukoral® (vaccin inactivé nécessitant idéalement 2 doses) et Vaxchora® (vaccin vivant atténué ne nécessitant qu’une dose).

Le HCSP recommande une stratégie vaccinale en trois paliers selon l’épidémiologie, associant vaccination anticipée des intervenants de 1ère puis de 2ème ligne et vaccination déclenchée au cas par cas dans l’entourage des patients, en intra-domiciliaire comme pour ceux hautement exposés à de mêmes risques (partage des latrines, des stocks d’eau…), avec recours aux 2 types de vaccins selon les cibles. 

La vaccination dans l’entourage d’un cas (en association parfois à une antibioprophylaxie), justifiée par le risque plus élevé de choléra chez les personnes contacts par rapport à la population générale, dans les semaines suivant le contact. Dans l'entourage des cas, la durée de survie des V. cholerae toxinogènes est de l'ordre de quelques jours, permettant par des actions rapides et circonscrites d’empêcher les cas secondaires. En revanche, les flambées épidémiques se produisent généralement dans les mêmes quartiers ou localités sur des périodes de quelques semaines ou mois, témoignant d’une transmission à bas bruit. Aussi, les mesures prises autour des cas index peuvent être étendues à une population plus large que les simples contacts domiciliaires : personnes partageant les mêmes points d’eau, les mêmes latrines, ou même vivant dans les mêmes quartiers d’habitats précaires.

Caractéristiques des deux vaccins disponibles à Mayotte

- Le vaccin Dukoral®

Ce vaccin doit être indispensablement administré avec une solution tampon antiacide (bicarbonate de sodium) afin d’empêcher son inactivation par l’acidité gastrique. Son efficacité (exclusivement sur le sérogroupe 1) a été évaluée dans plusieurs essais cliniques et études de terrain, en des schémas multi-doses, avec des préparations parfois un peu différentes de la forme commercialisée. L’efficacité individuelle est de 80 à 85 % dans les 5 à 6 premiers mois post-vaccinaux, surtout sur les formes graves, s’abaissant ensuite. Elle semble identique chez les moins et les plus de 5 ans, chez les personnes vivant avec le VIH, mais n’a pas été évaluée chez les femmes enceintes. La protection pourrait varier selon les souches de V. cholerae circulantes. Le vaccin confère une immunité indirecte de groupe.

Le schéma est classiquement de deux doses à 14 jours d’intervalle, mais des administrations à 1 dose ont parfois été réalisées dans des contextes de ressources rares ou de conditions opérationnelles rendant le second passage difficile. Il n’a pas été trouvé d’étude de protection avec Dukoral® à 1 dose.

- Le vaccin Vaxchora®

L’administration en une seule prise orale de ce vaccin vivant atténué en une dose nécessite une préparation avec de l’eau ne contenant pas de produit désinfectant, chloré notamment, au risque de le dénaturer (eau de source et non eau du robinet).

Il est recommandé de principe de ne pas faire de vaccin dans les 14 jours qui suivent une antibiothérapie, car celle-ci pourrait réduire l’efficacité du vaccin. Il est également préconisé de ne pas utiliser d’antibiotique dans les 10 jours qui suivent une vaccination, mais bien sûr un sujet vacciné relevant d’un traitement antibiotique doit le recevoir.

Des études d’efficacité avec des candidats vaccins contenant la souche vaccinale CVD-103 HgR ont été menées avec différentes concentrations de vaccin, en contexte expérimental ou en vie réelle. Il en ressort une efficacité à 3 mois de 80 à 90 % contre les formes modérées à sévères et de 66 % toutes formes confondues. Ces études ne peuvent être extrapolées au vaccin Vaxchora® dont l’efficacité a été évaluée dans une étude où les personnes (adultes de 18 à 45 ans) ont reçu le vaccin ou un placebo puis ont été « challengées » par une souche virulente de V. cholerae après 10 ou 90 jours. L’efficacité pour la prévention des formes graves ou modérées de choléra est de 90,3 % pour le groupe challengé à 10 jours et de 79,5 % pour le groupe 3 mois. Dans cette étude, l’excrétion de la souche vaccinale a été recherchée dans les 7 premiers jours et retrouvée chez 11 % des vaccinés. Aucune donnée n’existe sur le risque de transmission éventuelle de la souche vaccinale vivante à l’entourage.

Le Vaxchora® est le vaccin recommandé par les autorités américaines pour les voyageurs de 2 à 64 ans se rendant dans une zone endémique. Un point de vigilance doit porter sur le diagnostic différentiel que le laboratoire peut être amené à faire entre la souche circulante et la souche vaccinale si le vaccin vivant Vaxchora® est utilisé à Mayotte. La souche vaccinale étant une souche à la fois délétée des gènes de la toxine cholérique et mutée sur un gène connu, des tests PCR seront à mettre en place pour un éventuel diagnostic différentiel si celui-ci a été établi sur la base de tests de diagnostic rapide (TDR) ou de la culture seule.

Vaccinations déjà mises en oeuvre à Mayotte

Dans le contexte de la réimportation du choléra dans l’archipel, l’ARS Mayotte a déjà engagé une vaccination des intervenants de première ligne, d’abord par Dukoral® (schéma à 2 doses) puis par Vaxchora® au regard des allotissements disponibles. Après l’identification du premier cas de choléra sur l’île, une stratégie d’utilisation de Dukoral® pour les contacts domiciliaires et de Vaxchora® pour les habitants dans un rayon proche a été mise en œuvre. 

Recommandations pour la poursuite de la campagne vaccinale à Mayotte

Considérant tous les éléments précédemment exposés, les stocks vaccinaux disponibles et prévisionnels, les mesures de gestion complexe pour l’administration d’une seconde dose, le HCSP recommande la stratégie graduée suivante :

Palier 1 : présence de quelques cas sporadiques non liés ou importés 
  • Intervenants de 1ère ligne (soignants et tout intervenant autour des cas y compris pour toute opération funéraire) : finaliser la vaccination déjà engagée par Vaxchora® une dose (ou par Dukoral® 2 doses) en cas de contre-indication au Vaxchora® : grossesse, immunodépression, ... ;
  • Personnes vivant dans le même foyer que le cas et/ou à contact avéré avec le cas (par exemple passagers d’un même bateau) : Dukoral® (aucune contre-indication sauf âge < 2 ans) 2 doses chaque fois que possible (si l’administration de la 2ème dose est incertaine, administrer au moins 1 dose) + antibioprophylaxie par doxycycline en l’absence de contre-indication (cf. recommandations SPILF) ;
  • Personnes hors foyer domiciliaire mais partageant cours, latrines, cuisines, points et stocks d’eau : Vaxchora® 1 dose, sauf contre-indication.

Palier 2 : faible nombre de cas avec transmission locale avérée

  • Intervenants de 1ère ligne : intensifier et finaliser la campagne de vaccination déjà engagée ;
  • Personnes vivant dans le même foyer et/ou contacts avérés : Dukoral® 2 doses chaque fois que possible (si l‘administration de la 2ème dose est incertaine, administrer au moins 1 dose) + antibioprophylaxie par doxycycline en l’absence de contre-indication.
  • Personnes hors foyer domiciliaire : possibilité selon les résultats d’une enquête de terrain immédiate d’étendre la vaccination (par Vaxchora® 1 dose) au-delà des personnes partageant cours, latrines, cuisines, points et stocks d’eau (par exemple toutes personnes habitant la même zone d’habitat précaire).
Palier 3 : épidémie confirmée
  • En sus des intervenants de 1ère ligne en principe déjà immunisés vaccination des intervenants de 2ème ligne (en particulier recrutés pour des centres additionnels de traitement) : Vaxchora® une dose (ou en cas de contre-indication par Dukoral® 2 doses).
  • Personnes co-exposées au sein du foyer et/ou contacts avérés : Dukoral® 2 doses chaque fois que possible (si l’administration de la 2ème dose est incertaine, administrer au moins 1 dose) + antibioprophylaxie par doxycycline en l’absence de contre-indication.
  • Vaccination de toute ou partie de la population selon la disponibilité en doses vaccinales après sollicitation de la GTFCC.

Ce palier pourrait s’assortir de mesures d’hygiène touchant la population générale (a minima la restriction temporaire d’organisation de repas collectifs, hors établissements permettant le respect des mesures d’hygiène en particulier les grands banquets de la saison des grands mariages ou les voulés4 réunissant sur les plages de nombreux convives)

Pour en savoir plus :